Aujourd’hui je laisse la plume à Adrien Biassin, voyageur venu parler des guérisons par les psychédéliques et qui a offert au lieu son dernier récit de voyage: Sous les cendres souffle le vivant – Des Vosges à Erevan

Je vous présenterai son livre dans un article ultérieur…

Je n’ai pas écrit depuis quelque temps.

Il faut dire que les jours ont filé, denses, brassés d’instants si chargés qu’aucun mot n’aurait pu les contenir sans les trahir. Deux conférences, d’abord, à Crest. Une grande salle dans un centre de soins posé au cœur de la Drôme mais pleine comme un théâtre antique. J’y ai parlé d’enthéogènes, de conscience élargie, d’ombres et de guérison. Dans ce lieu, dirigé par le docteur Alain Gorius — figure de roc, soixante-cinq ans d’indocilité et de présence au monde — j’ai reconnu un frère d’âme. Une de ces âmes rares qui vous allègent, simplement parce qu’elles existent. Il m’a fait du bien. Peut-être m’a-t-il redonné foi dans cette mission d’alchimiste, qui parfois use la peau et le cœur.

Puis j’ai passé la frontière suisse …

… pour quelques jours à Sierre, chez Eric Remacle.

Une maison qui déménage, un esprit qui cherche. Entre les cartons et les montagnes, nous avons partagé des pratiques de soin, bricolé des outils thérapeutiques, observé nos limites comme on observe la ligne de crête d’un massif. La lenteur suisse m’a d’abord pesé – ce goût pour les silences et les visages fermés. Puis j’y ai trouvé une forme d’humour : comment peut-on faire la gueule, me suis-je demandé, avec tant d’argent et de sommets autour de soi ? La question reste ouverte, mais elle nous a souvent fait rire.

Dans les hauteurs alpins, Éric m’a guidé pour un soin, là où l’air devient rare et les pensées plus claires. Il est de ceux qui enseignent sans en avoir l’air, passionné et précis, comme ces vieux maîtres qui connaissent les arbres par leur écorce et les âmes par leurs détours.

Ensuite, j’ai retrouvé Ansgar Rougemont à Vevey.

Psychiatre, chercheur, marcheur entre les mondes. Nous avons parlé psychédéliques, usages cliniques, balises à poser pour ne pas se perdre. Mais surtout, nous avons longuement dérivé autour d’un thème plus sombre : les violences sexuelles, si massives et pourtant si tues. Entre deux plongeons dans le Léman, Ansgar m’a confié une hypothèse qui ne m’a plus quitté depuis : notre société, dit-il, est construite sur ces violences-là. Elles sont la fissure originelle, le grand trauma collectif dont tout découle – et dont nous vivons encore les conséquences, inconscientes mais bien réelles. J’ai acquiescé, à demi noyé dans l’eau douce et l’effroi.

Avant de partir, je leur ai offert mon livre, comme un remerciement pour ce qu’ils sont et ce qu’ils donnent.

Au col de Martigny, je suis descendu vers Chamonix,

Direction une maison de sorcière — ou de druide, plutôt. Dominique m’attendait pour notre conférence-goûter sur les plantes sacrées. Une femme arborescente dont la pensée pousse en branches et en rhizomes. Avec Dominique alias Safranière du Valdarly, le dialogue fuse, éclate, s’épanouit comme un feuillage. Guerrière, aussi : elle accompagne les licenciés, lutte contre les institutions, repousse les moldus avec une flamme que rien ne semble pouvoir éteindre. Sa maison fut un refuge — un de ceux où l’on entend la forêt penser.

Avant de plonger vers la chaleur provençale, j’ai fait un détour par le Vercors.

J’aime ces montagnes épaisses, rugueuses, comme sculptées dans la mémoire même du pays. La route serpente à travers des villages que l’histoire n’a pas oubliés : ici, on fusillait les maquisards contre les murs des écoles ; là, une plaque, un nom, une date. Je me suis arrêté aux mémoriaux, seul, et les larmes sont montées — pas seulement pour les morts d’hier, mais pour les vivants d’aujourd’hui, qui glissent à nouveau, à pas feutrés, dans les logiques de l’enfer. Rien ne change, ou si peu. Et pourtant, il y a encore des poches de beauté. Guillaume Reffay, par exemple. Un autre bâtisseur. Il a repris un gîte là-haut, entre la forêt et silence, pour en faire un lieu de transformation, un refuge collectif, une promesse de résilience enracinée. Nous avons parlé longuement, partagé des visions, des doutes aussi. Mais surtout, j’ai vu dans ses gestes une force tranquille : celle de ceux qui ne fuient pas le monde, mais choisissent un morceau de terre pour y planter autre chose. Une citadelle douce. Une autre manière d’habiter le temps.

Puis ce fut la Provence, sous une chaleur blanche et dure comme la pierre.

Des oliviers, des lavandes, des âmes solidement enracinées dans leur terre. La conférence fut initiée par Chantal, femme de la résistance douce, dressée contre les folies sanitaires comme un vieux pin contre le vent. Là encore, une salle comble. Là encore, cette certitude qu’il y a partout des cœurs éveillés, prêts à bifurquer. J’en ai rencontré une centaine, peut-être plus. Tous portaient cette flamme, cette nécessité presque animale de transformer la maladie sociale à partir de leurs blessures. J’en suis sorti lessivé mais en feu.

Sur le chemin du retour, chaque visage me revenait comme une lueur dans la nuit. Je me suis dit que nous avions une chance étrange — vivre une époque si rude, mais si riche. Une époque où les cicatrices deviennent cartes et les rencontres des boussoles.

Depuis, j’ai repris les consultations.

Et demain, je repars déjà.

L’Ardèche pour un accompagnement chamanique, puis Paris, puis le Tour de France. Le contraste est vertigineux : passer des huttes de soin à la caravane cycliste, du tambour chamanique au vrombissement des hélicoptères. Mais j’aime ce grand écart. C’est peut-être cela, ma ligne de vie. Tendre entre les mondes un fil assez solide pour qu’on puisse y marcher.

Adrien Biassin – 01/07/2025

Article rédigé pour sa page facebook

Catégories : Blog

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